
La fabrication du salpêtre au Moyen Âge : un procédé long et odorant
Au Moyen Âge, la production de salpêtre (nitrate de potassium, KNO₃) était un élément clé pour la fabrication de la poudre noire. Comme il ne se trouvait pas en grande quantité à l’état naturel en Europe, il fallait l’extraire artificiellement à partir de sols riches en matières organiques. Le procédé, bien que rudimentaire, reposait sur des principes chimiques solides et nécessitait patience, main-d’œuvre et une bonne tolérance aux mauvaises odeurs.
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1. La collecte des matières premières
Les nitrates sont produits naturellement par la décomposition des matières organiques en présence de bactéries nitrifiantes. Les salpêtriers (les artisans spécialisés dans cette extraction) récupéraient donc des sols riches en débris organiques, comme :
– Les caves, écuries et latrines : Les sols imbibés d’urine et d’excréments animaux ou humains contenaient des nitrates de calcium et de sodium.
– Les vieux tas de fumier : L’urine et les matières organiques se décomposaient avec le temps sous l’action des bactéries.
– Les murs des caves ou des églises : Les efflorescences blanches qui apparaissaient sur les murs humides contenaient aussi des sels nitrés.
Ces sols étaient laissés en l’état pendant plusieurs mois ou années, le temps que les bactéries transforment l’ammoniac de l’urine et des matières organiques en nitrates.
Le mot salpêtre vient du latin médiéval sal petrae, qui signifie littéralement « sel de pierre ». Cette étymologie reflète l’apparence cristalline de cette substance, qui se forme naturellement sur les parois rocheuses ou les murs humides.

2. La lixiviation : extraction des nitrates
Une fois que le sol était jugé suffisamment « mûr », les salpêtriers procédaient à la lixiviation, un processus d’extraction des sels solubles par l’eau.
Étapes du processus :
1. Remplissage d’une cuve : Le sol récolté (appelé « terre salpêtrée ») était mis dans de grandes cuves en bois ou en pierre.
2. Ajout d’eau chaude : On versait de l’eau tiède sur la terre pour dissoudre les nitrates.
3. Filtration : L’eau chargée en nitrates (appelée « lessive de salpêtre ») était récupérée en la laissant s’écouler à travers un tissu ou un lit de cendres, qui servait de filtre grossier.
4. Répétition du processus : Pour maximiser l’extraction, l’opération pouvait être répétée plusieurs fois sur la même terre.
Le liquide obtenu contenait un mélange de nitrates de potassium, de calcium et de sodium, mais aussi d’autres impuretés.
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3. La purification du salpêtre
Le problème était que la poudre noire nécessitait du nitrate de potassium, alors que la lixiviation extrayait un mélange de différents nitrates. Il fallait donc purifier le liquide pour éliminer les nitrates indésirables.
Cristallisation et séparation
1. Ajout de cendres de bois : On ajoutait des cendres riches en potasse (carbonate de potassium) à la lessive de salpêtre. La potasse réagissait avec les nitrates de calcium et de sodium pour favoriser la formation du nitrate de potassium.
2. Ébullition et évaporation : On chauffait ensuite le liquide dans une grande cuve. L’évaporation de l’eau permettait aux cristaux de nitrate de potassium de se former.
3. Filtration et séchage : Les cristaux étaient récupérés, rincés à l’eau pure pour éliminer les résidus de sels indésirables, puis séchés.
Le résultat final était un sel blanc granuleux : le salpêtre utilisable pour la fabrication de la poudre noire.
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4. De la terre aux canons : le rôle du salpêtre dans la poudre noire
Une fois purifié, le salpêtre était mélangé avec du soufre et du charbon de bois dans des proportions bien précises :
– 75% de salpêtre
– 15% de charbon de bois (généralement issu du saule ou du noisetier pour un meilleur rendement)
– 10% de soufre
Le mélange devait être broyé très finement et humidifié avant d’être séché, ce qui permettait d’obtenir une poudre plus homogène et plus réactive. Cette poudre noire était ensuite utilisée dans les armes à feu primitives, les canons et les engins de siège incendiaires.
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Un savoir-faire stratégique et contrôlé
Le salpêtre était un élément stratégique : sans lui, pas de poudre, et sans poudre, pas d’armes à feu. C’est pourquoi les rois et les seigneurs contrôlaient étroitement sa production. En France, sous Louis XIV, la fabrication du salpêtre était même une obligation imposée aux villages, où des équipes de salpêtriers avaient le droit de réquisitionner caves et granges pour y récupérer la terre salpêtrée.
Conclusion : Une chimie empirique mais redoutablement efficace
Malgré l’absence de connaissances scientifiques précises, les artisans du Moyen Âge avaient mis au point un véritable procédé industriel basé sur l’observation et l’expérimentation. Le salpêtre extrait de la terre et des murs servait non seulement à la guerre, mais aussi à d’autres usages comme la conservation des aliments (dans les salaisons).
Si vous voyez des traces blanches sur vos murs, vous avez peut-être sous les yeux l’ingrédient clé des guerres médiévales… mais rassurez vous, l’extraire et l’utiliser relèverait aujourd’hui plus de l’archéologie expérimentale que d’une véritable menace !
pour aller plus loin : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6208411b.image

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